Episode 35 : Lion repérer !

Episode 35 : Lion repérer !

Deux jours s’étaient écoulés dans une paix trompeuse à Céo Lo. Depuis leur soirée mémorable autour du jeu d’Aedra et la découverte de la carte légendaire de Skhal’El Dakan, Dred et ses compagnons avaient exploré méthodiquement la ville. Les révélations sur son père et celle des montagnes De Ferr hantaient l’esprit de Dred, mais il y avait encore tant à découvrir dans cette cité aux mille secrets.

La bibliothèque municipale était devenue leur quartier général. Entre les manuscrits anciens et les récits de voyageurs, ils glanaient des bribes d’informations sur les artefacts légendaires d’Haedillya. Dred avait même trouvé une mention troublante : certains textes parlaient d’éveil et d’enfants qui reviendraient un jour, mais les pages suivantes avaient été arrachées.

Ce matin-là, le soleil baignait la place du marché d’une lumière dorée. L’animation habituelle régnait : marchands vantant leurs produits, enfants courant entre les étals, ménagères négociant âprement les prix.

Lion s’était proposé pour aller chercher des provisions. « J’en ai pour une heure tout au plus », avait-il dit avec son sourire habituel. « Continuez vos recherches, je m’occupe de la nourriture pour changer. »

Il se sentait bien. Libre. Après tout ce qu’ils avaient vécu, Céo Lo lui avait redonné le goût de la normalité. S’éloignant toujours plus des cauchemars de sa désertion. Il avait presque oublié à quel point ils s’étaient rapprochés du territoire d’Imperea. Le nord était le domaine de l’Empire, et Céo Lo se trouvait dangereusement proche de cette frontière invisible.

C’était une erreur. Une erreur qui allait tout changer.

Au détour d’une ruelle étroite, alors que Lion examinait des fruits séchés sur l’étal d’une vieille marchande édentée, il entendit des bruits de bottes ferrées sur les pavés. Un son qu’il connaissait par cœur. Le pas cadencé des soldats d’Imperea.

Son premier réflexe fut de se fondre dans la foule, de baisser la tête, de devenir invisible. Mais, dans le doute et la curiosité l’emporta, aussi par acquit de conscience. Il risqua un regard.

Son sang se glaça.

Deux soldats en armure légère d’éclaireurs patrouillaient le marché. Mais ce n’était pas eux le problème. C’était l’homme qui les menait. Grand, massif, le visage balafré de cicatrices, une cape noire frappée de l’insigne impérial.

Le commandant Vexar.

Les souvenirs déferlèrent. Les entraînements brutaux. Les punitions pour la moindre erreur. La cruauté méthodique de cet homme qui transformait des jeunes recrues en machines. Et surtout, sa dernière promesse avant que Lion ne déserte : « Si tu pars, je te retrouverai. Où que tu ailles. L’Empire n’oublie jamais ses traîtres. »

Lion força son corps à rester calme. Il avait été habitué à ça, mais ces mois avec le groupe l’avaient presque fait oublier tout ça ! Ne pas courir. Ne pas paniquer. Agir naturellement. Il paya la marchande d’une main qui ne tremblait pas de façon perceptible, prit son sac de fruits, et commença à s’éloigner d’un pas mesuré.

Mais il sentit le regard de Vexar balayer le monde, comme s’il le cherchait. Comme une lame froide entre les omoplates.

« M’a-t-il vu ? » se demanda-t-il !

Lion tourna à l’angle d’une rue, puis accéléra. Encore un tournant, et il se mit à marcher aussi vite et naturellement que possible.

Il traversa Céo Lo comme jamais. Ses années d’entraînement militaire lui revenaient – les itinéraires de fuite, les angles morts, les passages discrets. Mais cette fois, ce n’était pas un exercice.

Quand il déboula dans la bibliothèque, haletant, couvert de sueur, le regard en disait long, tous comprirent immédiatement.

« On a un problème », dit t’il.

Dred leva les yeux du manuscrit qu’il étudiait. Il connaissait Lion depuis assez longtemps pour savoir qu’une seule chose pouvait le mettre dans cet état.

« Imperea ? »

Lion hocha la tête, tentant de reprendre son souffle. « Le commandant Vexar. Mon ancien… » Sa voix se brisa. « Mon ancien instructeur. Le pire de tous. Il était là, au marché. Avec une patrouille. »

Ily ferma le livre qu’elle consultait. « Il t’a reconnu ? » demanda t’elle d’une voix a la fois inquiète, mais essayant d’être rassurante.

« Je… je crois. Non, j’en suis presque sûr. J’ai mis trop de temps à réagir. Nos regards se sont croisés. Et Vexar… Vexar n’oublie jamais un visage. Surtout celui d’un déserteur. »

Heleyia frappa du poing sur la table. « On a déjà réussi à leur échapper une fois alors pourquoi pas deux ? »

« Parce qu’ici », intervint Dred. « Nous sommes trop près d’Imperea. Ce n’est pas une patrouille isolée, mais des renforts sans fin. dans cette ville nous sommes plus à domicile. »

Lion acquiesça, le visage grave. « Vexar est méthodique. S’il m’a vraiment reconnu, il a déjà envoyé un message. Les renforts arrivent probablement en ce moment même. D’ici la fin de l’après-midi, toute la ville sera bouclée. Chaque porte gardée, chaque ruelle surveillée. »

« Combien de temps avons-nous exactement ? » demanda Dred, toujours pragmatique.

« Au mieux ? Quelques heures. Au pire… » Lion jeta un regard inquiet vers la fenêtre. « Ils sont peut-être déjà en train de cerner le quartier. »

Corim se leva, ses muscles massifs ondulant. « Alors combattons. Où ? »

Dred déplia la carte qu’ils avaient acquise. Depuis son éveil dans la forêt de Coille’Antarr, ses yeux parcouraient les cartes avec une rapidité et une précision presque surhumaines. Il voyait toutes les routes, comme une arborescence de toutes les possibilités à suivre.

Son doigt traça plusieurs itinéraires possibles, s’arrêtant finalement sur une ville au centre, la logique était là, mais au fond quelque chose clochait.

« Retournons à Corolin », dit-il. « C’est hors de la juridiction d’Imperea. Territoire neutre depuis toujours. Ils ne pourront pas nous y poursuivre officiellement. Lion viens voir s’il te plait, j’ai besoin de ton point de vue.»

Dred lui montra rapidement son idée.

« Les routes le plus directe seront surveillée », dit Lion. « Vexar connaît toutes les tactiques de fuite. Il aura déjà posté des hommes sur les axes que tu viens de me montrer. »

Dred hocha la tête. « D’accord. Et puis, tu n’es pas sûr à cent pour cent qu’il t’ait reconnu. Profitons-en pour faire un détour… » Son doigt glissa vers l’ouest. « Par la forêt d’Antarroust. J’ai lu des choses fascinantes sur cet endroit. Des mentions d’anciennes ruines et tant d’autres choses. »

Lion grimaça. « Dred, ce n’est pas le moment de jouer les explorateurs. Antarroust n’est pas Coille’Antarr. C’est une forêt… différente. Plus ancienne. Plus sauvage. Les légendes parlent de créatures qui y vivent depuis la nuit des temps. Et elles n’aiment pas les néos. Et puis, ce n’est clairement pas le moment dans cette situation, je pense. »

« On a survécu à pire, non ? » dit Corim avec sa grosse voix. « Et puis, explorer des forêts, j’adore ça. »

« Ce n’est pas une plaisanterie », insista Lion. « J’ai connu des éclaireurs qui ont traversé Antarroust. Ceux qui en sont revenus… ils n’étaient plus les mêmes. »

Dred ferma les yeux. Dans sa nouvelle perception, il sentait effectivement quelque chose émaner de l’ouest.

« C’est un risque », admit-il. « Mais rester sur les routes principales serait du suicide. Au moins, là, on aura une chance. »

Un bruit étrange dans la rue les fit tous sursauter. Mais ce n’était qu’un groupe d’enfants qui jouaient.

« La tension monte », observa Ily. « Décidons vite. »

Lion prit une profonde inspiration. « Écoutez… C’est moi qu’ils veulent. Je pourrais partir seul. »

« Non. » La voix de Dred claqua comme un fouet. « On ne se sépare pas. On ne t’abandonne pas. Jamais. »

« Mais… » dit Lion.

« Il a raison », intervint Heleyia. Puis avec une voix innocente comme candide, elle ajouta : « Tu fais partie de notre famille maintenant. Et la famille, ça reste ensemble. »

Corim hocha la tête. « Et puis, qui vas me faire rire avec sa forte volonté, mais ton corps maigrichon ? »

Même Ily esquissa un sourire. « Nous sommes plus forts ensemble. C’est notre force. Ne l’oublions pas. »

Lion regarda ses amis, ses frères et sœurs de cœur, sa famille choisie. La gorge nouée par l’émotion, il ne put que hocher la tête.

« Alors on y va », décida Dred. « Une heure pour rassembler nos affaires. Provisions pour au moins une semaine, équipement de voyage. Ne voyageons pas trop lourd, on devra peut-être courir. »

Ils se dispersèrent rapidement afin de gérer les urgences. Mais avant de partir, Lion retint Dred par le bras.

« Je suis désolé », dit-il, la voix chargée de culpabilité. « C’est ma faute. J’aurais dû être plus prudent. J’aurais dû me souvenir qu’on était si près d’Imperea. »

Dred posa une main sur l’épaule de son ami. « Tu n’as rien à te reprocher. On savait tous que ce jour viendrait. Et même si l’on espérait qu’il n’arrive jamais l’Empire n’abandonne jamais. C’est même toi qui me l’as appris. »

« N’empêche… » dit Lion avec le regard presque fuyant par la culpabilité. « Vous êtes devenus ma famille… et … ça fait chaud au coeur ! »

« Hé, Lion », dit Dred. « Tu nous as apporté beaucoup. Et sans toi, on n’en serait peut être pas là, mais dans les deux sens du terme. Alors arrête de t’excuser. Et avançons ! »

Lion esquissa un sourire faible. « Merci Dred. »

Un moment de silence passa entre eux. Puis Lion redressa les épaules, retrouvant un peu de sa détermination habituelle.

« Tu as raison. On s’en sortira. Ensemble. »

« Comme toujours », confirma Dred avec un grand sourire.

Mais quelque chose dans le regard de Lion l’inquiétait. Une ombre que Dred n’avait jamais vue auparavant. Comme si son ami avait déjà pris une décision. Une décision qu’il gardait pour lui.

Moins d’un quart-heure plus tard, ils se retrouvaient près de la porte nord-ouest de Céo Lo. Chacun portait un sac aussi léger que possible mais bien rempli. Les visages partiellement cachés par des capuches.

La porte était gardée, mais pas vraiment plus que d’habitude. Deux gardes somnolents qui surveillait mollement les entrées et sorties.

Ils franchirent la porte sans encombre, se mêlant au flot habituel des voyageurs. Marchands, pèlerins, aventuriers – personne ne leur prêta attention.

Mais à peine avaient-ils parcouru une centaine de mètres que les cloches de la ville se mirent à sonner. Pas le carillon habituel des heures, mais un tocsin d’alarme. Urgent. Menaçant.

« Ils ont été plus rapides que prévu », murmura Lion.

« Ou alors ils savent déjà quelques choses », dit Ily.

Dred regarda une dernière fois les murs de Céo Lo. Une dernière penser aller en vers son amie Céleste, qui en entendant les cloches avait du comprendre.

Ils accélérèrent le pas, s’éloignant de la route principale dès qu’ils le purent. Derrière eux, les cloches continuaient de sonner.

La traque allait commençait.

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