Episode 36 : Echapper a Imperea !
Alors que Dred et ses amis étaient en cavale, se dirigeant vers la forêt d’Antarroust, ils passaient par différents types de chemins guidés par Dred et épaulés par les connaissances militaires de Lion. Tantôt des plaines vallonnées, tantôt des petits bouts de forêt qui leur offraient un couvert bienvenu.
La tension était palpable. Chacun marchait en silence, l’oreille aux aguets, guettant le moindre bruit suspect qui pourrait trahir la présence de leurs poursuivants.
Alors qu’ils traversaient ces décors variés, Dred fut interpellé une première fois par ce qu’il crut être la voix d’Ily, qui avec un ton inquiet semblait chuchoter : « Il faut que… ».
Dred se retourna vers elle, sourcils froncés. « Qu’est-ce que tu as dit, Ily ? »
« Rien », lui répondit-elle, visiblement surprise. « Je n’ai rien dit du tout. »
Ils continuaient à avancer quand il entendit distinctement : « Il est bizarre. »
Dred se retourna à nouveau vers Ily, un sourire gêner. « Sympa. Comment ça je suis bizarre ? »
Ily sua à grosses gouttes, les yeux écarquillés. Elle était certaine de n’avoir rien dit, pas même murmuré.
Puis, alors qu’ils continuaient leur marche forcée, elle entendit à son tour Dred dire : « Pourquoi elle dit ça de moi ? J’ai rien fait. »
À son tour, elle l’interpella, troublée. « Dred ? Qu’est-ce que tu viens de dire ? »
« Mais rien ! » s’exclama-t-il, aussi perplexe qu’elle.
Tous deux se regardèrent, trouvant le comportement de l’autre de plus en plus étrange. Lion, Heleyia et Corim les observaient avec inquiétude, se demandant si le stress de la fuite ne commençait pas à les affecter.
Peut-être était-ce la monotonie des plaines du nord sans trop de relief, ou les longues heures de marche qui jouaient des tours à leurs esprits fatigués. Puis plus rien pendant un moment.
Alors qu’ils s’étaient déplacés tout l’après-midi, la nuit se rapprochant à grands pas, Dred ressentit des sensations de plus en plus étranges. Ses mains devenaient brûlantes, puis glacées l’instant d’après. Des picotements remontaient le long de ses bras, comme si une énergie inconnue circulait dans ses veines.
Puis tout à coup, claire comme si elle était à côté de lui, il entendit la voix de Drya. Sa petite sœur. Impossible, elle était à des lieues d’ici.
« Drya, t’es là ? » dit-il à haute voix, se figeant sur place.
Tous le regardèrent avec un mélange d’inquiétude et de jugement. Lion posa une main sur son épaule.
« Dred, ça va ? Tu as l’air… ailleurs. »
Dred secoua la tête, embarrassé. Il fit signe à Ily de s’écarter un peu du groupe. « Il faut que je te parle. En privé. »
Elle accepta volontiers, intriguée par son comportement inhabituel.
Une fois à l’écart, Dred prit une profonde inspiration. « Écoute, je sais que ça va paraître fou, mais… il m’arrive quelque chose. Mon corps, il… il change. J’ai des sensations que je n’ai jamais eues avant. Des picotements, des variations de température. Et surtout… » Il hésita. « J’entends des voix. La tienne, plusieurs fois aujourd’hui. Et maintenant celle de Drya. »
Ily ouvrit la bouche, stupéfaite. Dans sa tête, elle pensa : « Mais moi aussi je l’ai entendu cet après-midi ! Plusieurs fois même. Comment c’est possible ? »
À peine eut-elle formulé cette pensée que Dred, les yeux écarquillés, répéta mot pour mot : « Mais moi aussi je l’ai entendu cet après-midi ! Plusieurs fois même. Comment c’est possible ? »
Ce fut le choc. Ily recula d’un pas, la main sur la bouche.
« Tu… tu viens de lire dans mes pensées ? »
« Je… je crois. Ily, qu’est-ce qui m’arrive ? »
Tous deux se regardèrent, ne comprenant pas ce qui était en train de se produire. Après un long moment de silence, ils décidèrent d’un commun accord de rejoindre le groupe sans en parler. Pas maintenant. Pas alors qu’ils étaient poursuivis.
La nuit était tombée quand ils décidèrent enfin de s’arrêter pour quelques heures de repos. Ils ne pouvaient pas continuer dans l’obscurité totale, au risque de se perdre ou de tomber dans une embuscade.
Dred sortit sa carte pour vérifier leur position. Il allait demander à Heleyia d’allumer un petit feu discret quand soudain, sans qu’il ne comprenne comment, une flamme dansa dans sa paume ouverte.
Tous restèrent figés. La flamme vacilla un instant avant de s’éteindre, laissant Dred contempler sa main intacte avec stupéfaction.
Heleyia fut la première à réagir. Elle alluma rapidement une lampe à huile, puis s’approcha de lui, la voix tremblante. « J’espère que… tout va bien ? C’était quoi, ça ? »
Dred, gêné, s’adressa au groupe entier. « Je ne sais pas ce qu’il m’arrive. Depuis la forêt de Coille’Antarr, depuis que j’ai touché cet arbre… il se passe des choses étranges. Et aujourd’hui, avec le stress de la fuite, c’est comme si quelque chose s’éveillait en moi. »
Il se tourna vers Heleyia, l’air déboussolé. « Dis-moi… Ça te chauffe ou ça te picote les mains quand tu veux faire apparaître du feu ? »
Heleyia hocha lentement la tête. « Oui… Mais où veux-tu en venir ? »
« Et les flammes que tu fais apparaître, tu penses à quoi pour les faire surgir ? »
Elle réfléchit un instant, puis sourit faiblement. « Souvent ça vient tout seul. Je pense juste à ‘feu’ ou ‘flamme’. Sauf quand je suis en colère, là les flammes apparaissent sans que je… » Elle s’interrompit, fronçant les sourcils. « Mais c’est vrai, comment je fais exactement ? Je n’y ai jamais vraiment réfléchi… »
Dred ferma les yeux. « Là, je ne pense à rien… Et maintenant, je pense au feu. »
À peine la pensée formée, une nouvelle flamme jaillit de sa main, plus stable cette fois. Orange vif, elle dansait entre ses doigts sans le brûler, puis s’éteignant de nouveau.
Tous firent instinctivement un pas en arrière. Même Dred tressaillit.
Corim fut le premier à briser le silence. « Ben ça alors… Notre Dred qui devient magicien. Comme si on n’avait pas assez de problèmes. »
Après un long moment de questionnement et de théories diverses, Lion ramena tout le monde à la réalité. « On en parlera plus tard. Pour l’instant, on doit se concentrer sur notre survie. »
Dred et lui étudièrent rapidement la carte. Ils n’étaient plus très loin de la petite ville de Bat’Abé, dernière étape avant la forêt d’Antarroust.
« On mange un morceau, on se reposera quelques heures quand nous seront à la lisière de Bat’Abé », proposa Lion. « Au petit matin, on fait des provisions rapides et on file vers Antarroust. »
Tous acquiescèrent. Ils s’installèrent discrètement au nord-est de la ville, arrivant en plein milieu de la nuit. Le sommeil fut agité, entrecoupé de tours de garde nerveux.
Aux premières lueurs de l’aube, ils se préparèrent pour leur incursion dans Bat’Abé. La petite ville marchande s’éveillait doucement, les premiers commerçants installant leurs étals sur la place centrale.
« On y va par petits groupes », ordonna Lion, retrouvant ses réflexes de stratège militaire. « Moins on est visibles, mieux c’est. Je reste en retrait, je suis celui qu’ils recherchent en priorité. »
Il tendit une liste griffonnée à la hâte. « Provisions pour une semaine minimum. Cordes, torches, tout ce qui peut servir dans une forêt hostile. »
Ily et Corim partirent en premiers, jouant les voyageurs ordinaires. Après plusieurs minutes, Dred et Heleyia les suivirent, prenant un autre chemin pour accéder au marché.
Dred restait sur ses gardes, scrutant chaque visage, chaque uniforme. Il venait de payer un marchand de fruits secs quand il les vit. Deux soldats en armure légère d’Imperea, interrogeant un vendeur de tissus.
La pensée fusa instantanément vers Ily : « Soldats d’Imperea repérés. Place est, près des tissus. »
La réponse ne tarda pas, claire dans son esprit : « Nous aussi, on en a vu trois près de la fontaine. On se replie. »
C’était confirmé. Non seulement une forme de télépathie s’était établie entre eux, mais elle fonctionnait à distance. Dred chercha Heleyia des yeux. Elle était près d’un étal de poteries, marchandant innocemment.
« Heleyia, on y va », murmura-t-il en s’approchant.
Mais au même moment, un cri retentit. Heleyia heurta « accidentellement » l’étal du potier. Des dizaines de pots et d’assiettes s’écrasèrent au sol dans un fracas assourdissant.
« Mes poteries ! Petite peste, tu vas payer ! » hurla le marchand.
Profitant du chaos, Dred attrapa la main d’Heleyia et l’entraîna dans la foule. Derrière eux, les cris des soldats se multipliaient.
« Par ici ! Ils fuient vers le nord ! »
Ils retrouvèrent les autres à la sortie de la ville. Lion était livide.
« Qu’est-ce qui s’est passé ? »
« On a été repérés », haleta Dred. « Ils sont sur nous. »
Lion jura. « Vexar me connaît trop bien. Il savait que j’éviterais la route directe. Il a dû poster des hommes dans toutes les villes sur les chemins détournés. »
Ils se mirent à courir vers la lisière de la forêt. Derrière eux, une patrouille d’une dizaine d’hommes avait pris leur poursuite.
« Lion ! Arrêtez-vous ! Rendez-vous et vos amis auront la vie sauve ! » cria l’un des soldats.
La forêt n’était plus qu’à quelques centaines de mètres. Mais les soldats gagnaient du terrain, moins chargés qu’eux.
Dans un élan désespéré, Dred se retourna. Il leva la main vers leurs poursuivants, visualisant un mur invisible entre eux.
« STOP ! » hurla-t-il.
L’air sembla se solidifier. Les soldats percutèrent une barrière invisible, s’écroulant les uns sur les autres. L’effet ne dura que quelques secondes, mais ce fut suffisant.
Ils plongèrent dans l’ombre des premiers arbres d’Antarroust. Les cris de rage des soldats résonnaient derrière eux, mais déjà, l’atmosphère changeait. La forêt les enveloppait de son étreinte sombre et ancienne.
Haletant, adossé à un tronc noueux, Dred regarda sa main avec un mélange de crainte et d’émerveillement.
Il avait compris. Quelque chose avait définitivement changé en lui. Le Porteur ne se contentait plus de s’éveiller.
Il pouvait désormais utiliser la magie.
La vraie épreuve commençait maintenant.