Episode 34 : Les Échos du Père

Episode 34 : Les Échos du Père

Céo Lo s’éveillait doucement sous les derniers rayons du soleil couchant. Contrairement à ce que Dred avait perçu depuis la forêt, la ville semblait maintenant parfaitement normale. Les habitants vaquaient à leurs occupations, les marchands rangeaient leurs étals, et les enfants couraient dans les rues pavées en riant.

« C’est étrange », murmura Dred. « J’aurais juré que quelque chose n’allait pas ici. »

Lion haussa les épaules. « Peut-être que ton… éveil t’a rendu un peu trop sensible ? »

Dred fronça les sourcils. La sensation de danger avait disparu, mais quelque chose continuait à vibrer en lui, comme un avertissement lointain. Il décida de ne pas insister. Après tout ce qu’ils avaient vécu dans la forêt, un peu de normalité ne pouvait pas faire de mal.

Ils trouvèrent une auberge qui avait l’air accueillante, Le Temps du Voyageur. Avant de s’y installer pour la nuit, Dred dit à ses compagnons « Je vais prendre l’air, réservez-moi s’il vous plaît une chambre ». L’agitation de la journée et l’énergie nouvelle qui coulait dans les veines de Dred rendaient le repos difficile.

« Je viens avec toi », proposa Ily.

« Moi aussi », ajouta Heleyia. « Pas question que tu disparaisses encore dans un arbre magique. »

Laissant leurs affaires sous la garde vigilante de Lion et Corim, qui auraient la tâche de réserver toutes les chambres.

La ville de Céo Lo était construite autour d’un petit lac nommé Kichlosh, dont les eaux reflétaient les premières étoiles. C’était un endroit paisible, avec des bancs de pierre disposés le long de la berge et des lanternes qui commençaient à s’allumer une à une.

Ils s’assirent près de l’eau, savourant le calme après l’intensité de leur journée. Dred observait les reflets sur l’eau, perdu dans ses pensées. Cette force en lui, ce titre de « Porteur » que l’arbre lui avait révélé… qu’est-ce que tout cela signifiait vraiment ?

« Salut mon vieil ami ? »

La voix le fit sursauter. Un homme d’âge mûr se tenait derrière eux, les mains dans les poches de son manteau usé. Il avait des cheveux grisonnants et des yeux qui semblaient avoir vu trop de choses.

« C’est à moi que vous parlez ? » répondit prudemment Dred.

L’homme sourit, un sourire las mais bienveillant. « Pardonnez-moi, je ne me suis pas présenté. Je m’appelle Yorren. Je suis marchand, je voyage beaucoup. Et vous… vous ressemblez étrangement à quelqu’un que j’ai connu. »

Dred se raidit légèrement. « Ah oui ? »

« Un homme nommé El’Rik. Vous le connaissez ? »

Le nom frappa Dred comme un coup de poing. Son père. Il avait entendu ce nom plusieurs fois au cours de leurs voyages, toujours en passant, toujours avec ce mélange de respect et de mystère.

« C’est… c’était mon père », dit-il.

Yorren hocha la tête, comme s’il s’y attendait. « Je m’en doutais. La ressemblance est frappante. Pas seulement physique, d’ailleurs. Cette façon que vous avez de regarder l’eau, de vous tenir… c’est tout lui. »

Heleyia et Ily échangèrent un regard. Dred parlait rarement de son père. Et les rares choses qu’il avait entendues venaient d’autres personnes qu’ils avaient croisées !

« Vous l’avez connu ? » demanda Dred, essayant de garder une voix neutre.

« Connu, c’est un grand mot. Nous avons voyagé ensemble pendant quelques mois, il y a… oh, ça doit faire des années maintenant. C’était un homme remarquable. Brillant, mais… tourmenté. »

Dred se pencha légèrement en avant. « Où l’avez-vous rencontré ? »

« Vers les montagnes De Ferr. Il cherchait quelque chose là-bas. Ou fuyait quelque chose, je n’ai jamais vraiment su. Il ne parlait pas beaucoup de lui-même. »

Les montagnes de Ferr. Dred grava le nom dans sa mémoire. Un autre indice dans le puzzle qu’était la vie de son père.

« Il parlait parfois de vous », continua Yorren. « Pas directement, mais… je comprenais. Il disait des choses comme « un jour, ils comprendront » ou « j’espère qu’il sera plus fort que moi » et des fois même « La retrouvera-t-elle ? ». Je pense qu’il vous préparait à quelque chose, même de loin. »

Dred sentit sa gorge se serrer. Son père, cet homme qu’il avait à peine connu, qui l’avait laissé grandir seul… l’avait-il vraiment fait par choix ? Ou par nécessité ?

« Savez-vous ce qu’il est devenu ? » demanda-t-il.

Yorren secoua la tête. « La dernière fois que je l’ai vu, il partait vers le nord je crois. Il avait l’air… résolu. Comme quelqu’un qui a enfin trouvé ce qu’il cherchait. Ou qui a accepté ce qu’il devait faire. »

Un silence s’installa.

Dred demanda avec prudence : « Vous pouvez m’en dire plus ? ».

« Hélas, non je ne crois pas. »

Puis, il prit un instant et dit : « Quelque chose me revient, je ne sais pas si ça pourra vous aider mais… Il parlait tout le temps de jeune homme et d’une petite fille. Mais il disait regretter la disparition de sa deuxième je crois… ».

Dred sentit son sang se glacer, puis tout en bégayant il dit : « Com… Comment ça ? Une… Une troisième ? ».

Yorren ajouta avec un sourire : « Vous savez c’était il y a longtemps, je crois qu’il disait avoir perdu une petite fille, un bébé, d’après mes souvenirs elle aurait l’âge de votre amie derrière vous je pense ! », tout en montrant Ily du doigt.

« Merci », dit simplement Dred.

Yorren sourit à nouveau. « Je dois y aller maintenant… » Il se retourna pour partir, puis s’arrêta. « Oh, et si vous cherchez des réponses sur votre père… les montagnes De Ferr seraient un bon point de départ. Il y a là-bas des gens qui se souviennent de lui. Ou continuez vos recherches vers le nord. »

Puis il disparut dans les rues de Céo Lo, laissant Dred avec plus de questions que de réponses.


De retour à l’auberge, l’ambiance était plus légère. Lion et Corim avaient trouvé un groupe de joueurs locaux pour une partie d’Aedra qui était en cours. Le jeu de cartes était populaire dans toute Haedillya, et c’était une bonne façon de se détendre après une journée éprouvante.

« Ah, vous voilà ! » s’exclama Lion. « Venez, on fait une partie amicale. »

Avant même que Dred s’installe, il vit Céleste, qui l’observait de loin.

Elle lui fit signe de venir, et arrivé à son niveau elle lui fit une accolade amicale en lui disant : « Dès que je t’ai vu j’ai tout de suite vu que quelque chose dans ton aura avait changé ».

Dred gêné lui dit : « Comment ça ? Effectivement notre voyage dans la forêt de Coille’Antarr a été à la fois revitalisant physiquement, mais mentalement je suis perdu ».

Céleste lui dit : « Je peux pas t’expliquer, je l’ai vu et senti. Tu veux m’en parler ? De ce que tu as vu, vécu, ou autre ? »

Dred hésita, puis sourit et lui dit : « Quelque chose me ferait du bien, que tu viennes jouer avec nous, tu connais le jeu de cartes Aedra ? Tel que je te connais je dirais oui ! ».

Elle sourit et dit : « D’accord et évidemment que je connais le jeu ».

Dred en profita pour ouvrir quelques boosters avant de faire une partie épaulé par Ily l’initiatrice et actuellement la meilleure joueuse du groupe et de loin.

Elle lui expliquait les super cartes qu’il avait eues dans les premiers boosters, jusqu’au moment où il en ouvrit un qui laissa un silence lourd.

Dedans, il y avait : Skhal’El Dakan, l’Exil du Verbe

Le nom seul donnait des frissons. La carte représentait une silhouette enveloppée de brumes, avec des yeux qui semblaient voir à travers le temps et l’espace. Le filigrane de diamant bleu scintillait comme s’il était fait de vraie pierre précieuse.

« C’est l’un des Enfants de la Prophétie », murmura un joueur local avec révérence. « Il n’y en a que quatre dans tout Aedra. Certains disent qu’elles n’existent même pas vraiment. »

Dred lisait les effets de la carte, fasciné. Domination mentaleLien de l’Intangible. Les mots résonnaient étrangement avec quelque chose mais quoi ?

« Regardez la description », dit Ily, lisant par-dessus son épaule.

Dred savait qu’il y avait les enfants de la prophétie or il ignorait que celle-ci se retrouvait même à travers les cartes.

Il continua à ouvrir ses derniers boosters, découvrant d’autres cartes rares et puissantes. Mais aucune n’avait l’aura de Skhal’El Dakan. C’était comme si la carte l’avait choisi, et non l’inverse.

La partie commença. Dred joua machinalement au début, encore perturbé par sa rencontre avec Yorren et la découverte de la carte. Mais progressivement, il se laissa prendre au jeu.

C’était étrange. Depuis son éveil dans la forêt, il semblait presque anticiper les mouvements de ses adversaires. Pas de façon surnaturelle, mais comme s’il percevait des schémas invisibles aux autres. Quand il tenait Skhal’El Dakan dans sa main, la température de la pièce sembla baisser d’un degré.

« Cette carte… », chuchota un des joueurs, puis il secoua la tête. « Non, c’est impossible. Mais on dirait qu’elle est vivante. »

Dred ne répondit pas. Il sentait lui aussi quelque chose. La carte pulsait faiblement entre ses doigts, en harmonie avec la force qui coulait maintenant en lui.

La partie se termina sur une défaite, mais personne ne sembla s’en soucier. Tous étaient fascinés par la carte légendaire. Et personne ne comprenait pourquoi il ne l’avait pas jouée.

« Vous savez », dit le marchand de cartes, un vieil homme aux yeux perçants, « il y a une légende sur les Enfants de la Prophétie. On dit que quand les quatre cartes sont réunies, elles révèlent une vérité cachée. Une prophétie sur l’avenir d’Haedillya. »

« Des contes pour enfants », ricana un joueur.

Mais le marchand secoua la tête. « Peut-être. Ou peut-être pas. Les cartes d’Aedra ne sont pas que du papier et de l’encre, vous savez. Elles sont liées à la magie ancienne de ce monde. Certaines… oui, certaines d’entre elles se souviennent. »

Dred rangea soigneusement Skhal’El Dakan dans son deck. Une carte qui se souviendrait alors, comme lui le doit, le Porteur de Mémoire.

Les coïncidences s’accumulaient. Son père, les montagnes De Ferr, cette carte… tout semblait converger vers quelque chose de plus grand.

« On devrait aller se coucher », dit finalement Lion. « Demain, on cherche des informations sur ces artefacts. »

Ils remontèrent dans leurs chambres, mais Dred resta éveillé longtemps. Il tournait et regardait cette montre, celle de son père entre ses doigts, sentant sa chaleur rassurante. Sur la table de nuit, Skhal’El Dakan semblait briller faiblement dans l’obscurité.

Son père l’avait préparé à quelque chose. Mais à quoi ? Et pourquoi maintenant, tous ces éléments se mettaient-ils en place ?

Il regarda par la fenêtre, vers les montagnes lointaines qui se découpaient contre le ciel étoilé.

Mais d’abord, Céo Lo. Ces informations. La prochaine pièce du puzzle.

Il s’endormit finalement, la tête pleine d’idées de rêve et de nouveaux horizons à venir. Dans ses rêves, il entendit à nouveau la voix de l’arbre :

« Le Porteur s’éveille. Mais ce n’est que le début. »

Demain serait un autre jour.

Un jour où le passé et le présent commenceraient enfin à se rejoindre.

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